J’étais en pleine rédaction d’un article sur Kelvin Kiptum, quand le destin a frappé lundi 12 février avec cette disparition tragique dans un accident de voiture (1).
Il était âgé de seulement 24 ans, il avait encore tellement d’années à haut niveau devant lui. Je me suis demandé s’il fallait ou non poursuivre, puis je me suis dit qu’il serait dommage de ne pas relayer cet article, pour que les gens sachent ce qu’il aurait été capable de faire.
Je pense que c’est un bel hommage de souligner à quel point ses performances étaient incroyables. Je me permets aussi d’évacuer toute question de dopage — il est vrai que beaucoup se sont questionnés devant de tels exploits, surtout qu’il a tout de suite été dans des chronos jugés surréalistes, alors que Kipchoge a mis plusieurs années pour atteindre ce niveau.
Avec cette disparition nous ne saurons de toute façon jamais vraiment ce qu’il en est, ni jusqu’où il aurait pu aller dans les chronos. Il voulait être le premier (réellement et officiellement) homme sous les 2 heures au marathon de Rotterdam.
Les chercheurs Guilherme Fernandès et Victor H. Maldonado (2) se sont intéressés à cela et ont analysé les courses de Kiptum. Il s’avère qu’il est très loin d’avoir optimisé le draft comme Kipchoge l’avait fait lors de ses records du monde.
Qu’est-ce que le draft ?
Bien connu dans le monde du cyclisme, le phénomène d’aspiration est nettement moins connu en course à pied. Quiconque ayant étudié la physique au lycée se rappelle des forces et des frottements de l’air. Courir derrière un autre cycliste permet simplement de réduire la résistance au vent et donc la quantité d’énergie nécessaire pour pédaler.
Forcément, en course à pied le phénomène est moindre, surtout pour le coureur lambda. Mais pour les élites qui courent le marathon à presque 21 km/h c’est très loin d’être négligeable. Tout le monde se rappelle de la course réalisée par Kipchoge sous les 2h, avec tous ces meneurs d’allure qui se relayaient.
Rappelons aussi que pendant cette course, il était équipé d’un prototype d’Alphafly qui utilisait trois plaques de carbone et une poche de gaz comprimé. C’est d’ailleurs après cette course que World’s Athletics a fixé des règles pour couper court aux dérives : une seule plaque carbone et 40 mm d’épaisseur maximale au talon.
Bref, la course n’a pas été homologuée de toute façon. Mais cela illustre aussi la puissance de ce que l’on appelle le draft, à savoir courir dans le sillage d’un autre coureur pour profiter de ce phénomène.
Le draft est-il efficace en course à pied ?
Il y a eu beaucoup moins d’études scientifiques sur le sujet que dans le cyclisme. Mais il y en a eu lors des dernières années, surtout depuis l’apparition des chaussures à plaque carbone. Plusieurs études ont montré que Kipchoge a pleinement utilisé les avantages du draft lors de ses nombreux records.
La performance du coureur est évaluée à partir d’un point de vue énergétique, notamment en calculant les dépenses de chaque coureur, grâce aux économies d’énergie réalisées par la traînée. On appelle cela l’économie de fonctionnement.
Les dernières années et notamment les projets Breaking2 de Nike ont permis d’affiner le procédé de draft, en testant plusieurs types de formations de meneurs d’allure, la plus connue étant celle en V. La taille des meneurs d’allure est également un point clé, pour protéger un maximum du vent.
Il n’y a plus de doutes aujourd’hui sur l’apport du draft, surtout pour les coureurs de haut niveau qui vont à 20-21 km/h lors de leurs marathons. C’est d’ailleurs lors de ces efforts longs que l’apport est le plus visible, puisque l’économie d’énergie intervient davantage.
Quel rapport avec Kelvin Kiptum ?
Chose incroyable, lors du record u monde de Kelvin Kiptum en 2 h 00 m 35 s à Chicago en 2023, il s’avère qu’il n’a que très peu exploité le potentiel des lièvres. Les chercheurs cités plus haut se sont donc intéressés à cela pour quantifier le gain potentiel s’il courait comme l’a fait Kipchoge lors de ses records.
Lors de cette course, ils ont utilisé des simulations pour évaluer la dépense énergétique de chaque coureur, lui comme ses lièvres, pour calculer les gains potentiels pendant la course. Les calculs sont complexes et disponibles dans le lien en bas.
Quel est le résultat de l’étude ?
Kiptum a plutôt mal couru dans cette course, il a souvent été côte à côte avec ses meneurs d’allure et il a très peu utilisé les formations de meneurs d’allure connues.
Les chercheurs ont calculé les gains potentiels en optimisant au maximum le scénario de course. Les résultats sont assez extraordinaires. Ils ont prouvé que l’utilisation adéquate du procédé de drafting auraient permis à Kelvin Kiptum d’augmenter sa vitesse de course jusqu’à 3,2 %. Le temps potentiel à l’arrivée serait de… 1 h 57 min 34 s !
Sans atteindre ce chrono démentiel, on voit bien que la marge est énorme et que Kelvin Kiptum aurait assurément tôt ou tard cassé la barre des 2h, cela ne fait aucun doute.
Une disparition tragique
Mais le destin en a décidé autrement avec cet accident de voiture, nous ne saurons donc jamais jusqu’où il aurait pu aller. Il faudra peut-être quelques années avant de voir un coureur comme lui qui peut prétendre à casser cette barre, Kipchoge étant en fin de carrière et semblant avoir déjà atteint son maximum.
Nos pensées vont vers sa famille et nous regrettons de ne plus pouvoir admirer à l’avenir cette foulée si puissante et magnifique. Nul doute qu’il aurait marqué l’histoire du marathon dans cette année 2024 !
Sources
Kelvin Kiptum, Marathon World Record-Holder, Is Dead at 24
Victor Mather (février 2024)
The New York Times
https://www.nytimes.com/2024/02/13/sports/kelvin-kiptum-marathon-dead.html
The Sub 2-Hour Marathon Is at Hand: How Kelvin Kiptum Can Use Drafting to Improve His Impressive World Record
Guilherme Fernandes and Victor H. Maldonado (octobre 2023)
https://www.researchgate.net/publication/374979900_The_Sub_2-Hour_Marathon_Is_at_Hand_How_Kelvin_Kiptum_Can_Use_Drafting_to_Improve_His_Impressive_World_Record
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Merci pour cet article car je ne savais pas que Kelvin Kiptum était mort et qu’il avait réussi à atteindre les 2 heures de courses sur le marathon de Chicago (quelle vitesse ahurissante sur une telle durée ! C’est ce que je tiens sur 2 minutes…). Concernant le dopage, j’ai toujours eu cette pensée : peu importe qu’il y ait dopage ou pas, ils ont tous du mérite. De toute façon, le dopage contribue à la destruction prématurée de leur corps, cela ne leur regarde qu’à eux finalement (je ne parle pas des enjeux économiques et marketing, mais uniquement de l’aspect physique et physiologique).