Depuis toujours, les coureurs se fient à deux chiffres pour juger leurs efforts : l’allure et la fréquence cardiaque.
Mais depuis quelques années, une nouvelle métrique s’impose dans le monde du running : la puissance, mesurée en watts grâce à de petits capteurs fixés sur la chaussure, les footpods.
Ces appareils, popularisés par Stryd, promettent une vision plus juste de l’effort réel, indépendamment du vent, du dénivelé et même du GPS.
Mais tiennent-ils vraiment leurs promesses ? Et surtout, peuvent-ils vous aider à progresser ?

Comment ça marche ?
Un footpod comme Stryd pèse à peine dix grammes.
Accroché aux lacets, il mesure les accélérations du pied sur trois axes et calcule la puissance mécanique que vous produisez à chaque foulée.
À cela s’ajoutent plusieurs métriques secondaires : temps de contact au sol, raideur de jambe, oscillation verticale, cadence, voire résistance au vent grâce à un capteur de pression intégré.
Le tout se synchronise avec votre montre (Garmin, Coros, Polar, Suunto, Apple Watch) ou votre téléphone, pour afficher la puissance en temps réel (comme un capteur de puissance en cyclisme).
Ce que la recherche nous apprend
Jusqu’à récemment, la fiabilité de ces mesures restait débattue. Une étude publiée en 2024 dans le Journal of Sports Sciences apporte des éléments de réponse.
Des chercheurs américains (Hudgins et al.) ont comparé la puissance estimée par le Stryd à la puissance métabolique réelle mesurée en laboratoire sur tapis roulant, chez quatorze coureurs entraînés.

Les participants ont couru avec deux types de chaussures : un modèle d’entraînement classique (Nike Revolution) et une chaussure de compétition à plaque carbone (Nike Alphafly).
Résultats
- Stryd suit de très près les variations d’effort réel mesurées par la puissance métabolique (corrélation R² = 0,98) ;
- Mais il ne détecte pas totalement les gains d’économie d’énergie liés aux chaussures à plaque carbone (≈ 5 % d’écart).
👉 En pratique, cela signifie que le Stryd mesure très bien l’intensité d’un effort, mais pas forcément ses causes. Si votre rendement s’améliore grâce à vos chaussures, le capteur ne le saura pas.
Les données restent donc fiables tant qu’elles servent à vous comparer à vous-même pour calibrer vos séances.
Ce que cela change concrètement à l’entraînement

1. Un pacing enfin précis, même sur terrain vallonné
La puissance reste stable quelle que soit la pente.
Sur une montée à 6 %, maintenir 250 W implique de ralentir d’environ 1 min/km sans “exploser”.
À la descente, vous accélérez naturellement pour garder le même effort — exactement ce qu’un GPS ou un cardio ne peut pas traduire instantanément.
Garmin propose déjà une fonction appelée PacePro, qui ajuste vos allures selon le profil du parcours. Mais cette approche reste prédictive : la montre calcule vos rythmes idéaux à partir du dénivelé et de votre objectif de temps, sans tenir compte du vent, du terrain ou de votre forme du jour.
Un footpod comme Stryd, mesure la charge réelle en direct produite par vos jambes. Si la pente se raidit ou qu’un vent de face se lève, la puissance augmente immédiatement. Vous savez ainsi instantanément combien lever le pied pour rester dans la bonne zone d’effort.
2. Des données fiables, indépendantes de la montre.
En forêt ou dans un tunnel, le footpod continue à mesurer vitesse et distance sans coupure même si le GPS n’a plus de signal.
Autre avantage : la réactivité.
La fréquence cardiaque reflète la réponse physiologique du corps à l’effort. Elle traduit combien votre système cardiovasculaire travaille pour fournir de l’oxygène à vos muscles.
Mais cette réponse n’est pas instantanée : il faut 20 à 60 secondes pour que le rythme cardiaque s’ajuste à une variation d’intensité.

Sur un changement brutal de rythme ou une côte courte, votre montre indiquera encore une fréquence modérée alors que vos jambes produisent déjà beaucoup plus d’énergie.
La puissance mesure la sortie mécanique réelle : ce que vos muscles génèrent, pas ce que votre cœur encaisse. Chaque variation de foulée ou de pente se traduit immédiatement en watts. C’est un indicateur idéal pour gérer l’effort sur terrain vallonné ou pendant des séances structurées.
Mais l’un ne remplace pas l’autre :
- La puissance dit ce que vous faites (travail mécanique),
- La fréquence cardiaque dit comment votre corps le vit (charge interne).
Un bon entraînement combine souvent les deux : maintenir la puissance dans la zone visée sans que la fréquence cardiaque ne dérive trop haut, signe que la fatigue ou la chaleur augmentent la contrainte.
3. Un suivi objectif de votre forme
Le capteur estime votre puissance critique (Critical Power), l’équivalent du seuil anaérobie : c’est l’intensité maximale que vous pouvez maintenir environ une heure sans dérive majeure de la fatigue ou du rythme cardiaque.
Au-delà de cette limite, l’organisme s’appuie de plus en plus sur la filière anaérobie, et la performance chute rapidement.
La puissance critique se distingue de la VMA ou du VO₂max, même si les trois notions sont liées :
- VO₂max mesure la capacité maximale de votre corps à utiliser l’oxygène (une donnée physiologique, exprimée en ml/kg/min).
- VMA correspond à la vitesse atteinte à VO₂max : c’est une valeur de terrain qui traduit le potentiel aérobie pur.
- Critical Power indique la limite durable de votre puissance mécanique, celle que vous pouvez tenir longtemps sans basculer dans la dette énergétique.
En pratique, la CP décrit votre capacité à soutenir un effort constant, alors que la VMA et le VO₂max décrivent votre potentiel maximal.
C’est un indicateur précieux pour planifier les zones d’entraînement et suivre vos progrès sans test en laboratoire.
Si votre CP augmente, cela signifie que vous pouvez produire plus de puissance à effort comparable, soit la preuve tangible d’un meilleur rendement et d’une meilleure endurance.

4. Une mesure fine de l’économie de course
Changer de cadence ou de posture ? Le footpod vous dira tout de suite si vous consommez moins de watts pour la même allure (i.e., si vous courez plus efficacement).
Note : en revanche, un capteur comme Stryd ne détecte pas directement la façon dont vous posez le pied (attaque talon, médio-pied ou avant-pied).
Il mesure l’effet global de votre foulée sur la dépense énergétique, mais pas la technique elle-même.
Pour analyser précisément la pose du pied ou la symétrie droite/gauche, il faut des systèmes spécialisés comme Arion ou RunScribe, équipés de capteurs de pression intégrés à la semelle.
Les limites à connaître
Tout n’est pas parfait :
- Les mesures peuvent varier selon le type de chaussure ou de surface.
- Les valeurs absolues n’ont de sens qu’à condition de se comparer à soi-même.
- En trail très technique ou sur terrain meuble, la fiabilité diminue.
- Et comme toujours, sans structure d’entraînement, les données ne servent à rien.
Les chercheurs de l’étude précédente le rappellent : la relation entre puissance mécanique et dépense énergétique reste très forte, mais dépend du contexte biomécanique (chaussures, technique, surface).

Verdict : faut-il s’équiper ?
À environ 270 €, Stryd s’adresse avant tout aux coureurs déjà structurés qui suivent un plan d’entraînement, visent un chrono, ou aiment comprendre le pourquoi derrière leurs progrès.
Pour ce profil, c’est un outil d’une grande précision, capable de transformer des sensations floues en données concrètes. Mais il ne rend pas plus fort par magie : il révèle simplement ce que votre corps produit d’un point de vue mécanique en termes de watts.
Bien interprété, c’est un levier de progression fascinant. Mal compris, un simple chiffre de plus sur la montre. Pour la plupart des coureurs loisir, un cardio bien exploité restera tout aussi efficace pour calibrer l’effort.
👉 En résumé : pas un gadget, mais un outil de précision. Et comme tout outil, sa valeur dépend entièrement de la personne qui s’en sert.